• ● Partie

    Elle est partie. Elle est vraiment partie.

    Bien sûr, c’était la bonne décision. Mais au fond j’espérais qu’elle ne le fasse pas.

    J’ai tracé jusqu’à Illium, le cœur battant. J’ai traversé la ville à grands pas, j’ai bousculé des gens, heurté certains murs tellement l’angoisse et la vitesse me rendaient maladroite.

    Elle était avec mon père. Je sais pas qui a trouvé qui. Je m’en fous. Mon père n’a pas voulu me tuer. Il m’a serrée dans ses bras. Elle en a profité pour prendre ses jambes à son cou. J’ai repoussé mon père, couru après elle, crié son nom, essoufflée.

    Elvawen, Elvawen, Elvawen.

    Elle a bondi dans un vaisseau. J’ai ralenti. Je me suis arrêtée. J’ai simplement regardé le vaisseau fermer ses portes, démarrer. Plus rien autour de moi n’avait d’importance.

    Quelle autre décision aurais-je pu prendre ? Qu’aurait fait quelqu’un d’autre à ma place ? Si je la gardais près de moi, je sacrifiais sa vie. Elle n’a même pas passé le quart de son existence. Ca aurait été égoïste.

    Ma tristesse s’est transformée en colère. Une colère monstrueuse, que je n’ai pas su contrôler. J’ai vu le vaisseau décoller, puis ma vision s’est troublée. Je sais que je m’en suis prise à quelqu’un, à côté de moi. J’ai entendu des cris, d’abord surpris puis effrayés. La suite, je l’ignore. J’ai senti que je me déplaçais. L’Autre a pris les choses en main. Elle était furieuse, ses hurlements étaient insupportables, sa haine étouffante. La frayeur de mon entourage était palpable, puis elle s’est atténuée. On a sûrement dû quitter Illium, pour une raison ou une autre.

    Il s’est, je crois, passé quelques heures avant que l’Autre ne s’en prenne directement à moi. D’âme à âme, j’ai pourtant distinctement senti ses griffes déchirer ma chair, ses poings casser mon nez, sa poigne broyer mes côtes. Je n’ai pas cherché à me défendre. Je l’ai laissée me ruer de coups jusqu’à ce qu’elle s’en lasse.

    Quand je me suis réveillée, je n’étais qu’une épave de draken couverte de bleus et le visage barbouillé de sang. Tout mon corps me faisait terriblement mal. J’ai fait l’effort de me lever, de me déplacer en boitant jusqu’au miroir situé dans la salle de bain. J’ai constaté ce que j’étais devenue. Une faible, une moins-que-rien, une victime. Je me suis déshabillée pour prendre une douche.

    La corruption a encore gagné du terrain. De la base de mon cou à mon épaule. L’Autre s’est vengée. Elle tient à me montrer qui domine. Elle tient à me montrer qu’elle peut me réduire en esclavage. Qu’elle peut même me faire disparaître. Je sais tout ça. Mais je n’ai plus la foi de lutter. Ma seule raison de le faire est partie.

    Elle m’a abandonnée.

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